Le rôle des institutions est de fixer les règles et les références normatives, les interdits, les sanctions etc. L’économie institutionnelle gère les ressources en fixant des règles particulières, c’est dans une certaine mesure la théorie de l’ « Entitlement » proposée par le philosophe Robert Nozick*, qui établit des droits auprès d’acteurs ou d’agents particuliers, avec pour chaque droit, des devoirs. Dans ce cadre, les non-détenteurs de droits doivent respecter l’exclusivité des droits accordés aux autres agents. Dans le cas d’intérêts divergents, les acteurs doivent ainsi négocier un accord dont les coûts et les bénéfices sont évalués par le cadre légal, cadre qui défini la frontière de responsabilité.
Dans le cas des entreprises, le cadre légal limite la responsabilité légale de l’entreprise (Paul De Backer 2005). Cette dernière a donc tout intérêt à influencer le cadre légal, en mettant en place des stratégies d’influence institutionnelle pour tenter de modifier les règles qui lui son applicable ou les règles qui prévalent sur les marchés.
Dans le cas où les acteurs n’ont pas le même poids, le cadre légal ou institutionnel devient le relais des acteurs en position de domination ce qui rend le système totalement inégalitaire en mettant de surcroît l’accent sur l’utilitarisme et le bien privé, au détriment des autres aspects communautaires reposant sur la réciprocité.
Précisément, la question de la propriété est un des nœuds fondamentaux des modèles économiques car elle à sa propre logique : l’économie de propriété.
Le principe de l’économie de propriété repose sur le régime de propriété, qui rassemble tous les droits associés à la possession des ressources (droits d’accès, d’usage, de gestion, etc.) dans un titre de propriété. Ce titre de propriété assure à son détenteur une possession exclusive et durable. Outre la position sociale particulièrement forte qu’offre ce titre, les lois obligent les non-propriétaires exclus à respecter les droits des propriétaires, leurs privilèges, ce qui confère au titre de propriété une valeur sociale particulière.
Parce qu’ils sont garantis par la société au travers du régime de propriété, ces titres ont une valeur économique, et sont donc susceptibles de produire un rendement économique. Et c’est là que ce système va à l’encontre de la rationalité économique (Griethuysen 2011) : les titres sont transmissibles, de ce fait, les droits de propriété font l’objet de transactions, vente, achat et mise en gage. Ainsi, les titres permettent d’obtenir des financements pour des investissements, ils permettent donc d’investir sans épargne préalable et de démultiplier les biens des détenteurs des droits de propriété.
Le système de monétarisation des titres de propriétés sur les ressources naturelles a un effet pervers : la mise en gage de ressources naturelles dans le système financier rend la ressource dépendante d’un rendement purement monétaire car le remboursement auprès des prêteurs se fait de manière monétaire, et le remboursement doit se faire avec des intérêts, donc générer une activité visant à obtenir d’avantage de capitalisation (propriété intellectuelle, marges etc.).
Ainsi, pour être solvable, l’emprunteur doit soumettre l’ensemble de ses investissements basés sur l’hypothèque à la génération d’une plus value exclusivement monétaire. Il faut alors produire plus. Le profit devient de facto une nécessité avec une contrainte de temps qui va alors s’imposer même aux éléments et aux cycles naturels.
Cette « rationalité » économique de l’accumulation va subordonner les considérations écologiques et sociales de la soutenabilité aux impératifs de solvabilité, de rentabilité de pression temporelle, il y a donc contradiction intrinsèque, l’échelle de valeur de la soutenabilité est incompatible avec les échelles de valeurs de l’économie de la propriété et de l’économie capitaliste.
Dans ce cas, de quelles façons déterminer simplement les éléments devant rentrer dans la sphère de l’économie de la propriété et quels éléments devant en être exclus ? Les effets pervers de ce système se retrouvent dans la finance climatique née autour des droits d’émission de soufre aux États-Unis…
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• VAN GRIETHUYSEN Pascal (2011), séminaire Soutenabilité et économie : de l’économie environnementale à l’économie écologique jusqu’aux différentes approches de l’écoéconomie. [VertigO] et Institut des sciences de l’environnement/UQAM. [en ligne].
• Backer, Paul de. Indicateurs financiers du développement durable. Paris: Éditions d’Organisation, 2005.
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*Nozick a conçu une théorie dite libertarienne, de l’« habilitation » (entitlement), reposant sur plusieurs principes et que l’on retrouve assez bien dans le droit actuel : tout individu dispose d’un droit absolu sur sa personne, sur ses talents et les fruits de son travail ; le titulaire initial d’un droit de propriété sur un objet est la personne qui en a revendiqué en premier la propriété, le principe de juste circulation avec transfert du droit de propriété lorsque celui-ci est obtenu par transfert volontaire entre l’acquéreur et le propriétaire légitime, avec ou sans contrepartie ; le principe de juste réparation où dans le cas où les principes précédents n’ont pas été respectés, il doit y avoir juste réparation de la part du mis en cause (source Wikipédia).